Patrice Velut est réalisateur de films d’art. Après un dur et patient labeur sur l’image filmique et la représentation picturale, il a aujourd’hui à son actif plus de mille courts métrages réalisés avec soin et brio sur des artistes plasticiens de tous bords circulant sur sa chaîne YouTube et que tout le monde pourrait se donner le plaisir de regarder pour découvrir, grâce à son talent de magicien de l’image, le génie de ces artistes qu’il affectionne et dans les ateliers et expositions de qui il a patiemment et passionnément tourné ses films et clips de grande qualité artistique et ces patchworks saisissants où l’on trouve, outre des fonds musicaux de grande sensibilité et de très bon goût, surtout des sculpteurs et des peintres dont entre autres, Xavier Zevaco, Alexis Péron, Claude Bolduc, Isabelle Malmezat, Christophe Nicolas Hoët, Eric Nivault, Véronique Paster, Antoine Bodet, Yann Deguen, Picrate, Jober, Marjan, Patrick Navaï, et d’autres, plus nombreux encore.
Ce sont surtout les expressionnistes et les artistes-Art Brut qui ont grâce à ses yeux et qu’il accueille avec amour sous l’œil de sa caméra passionnée et infatigable. Sept de ses films ont été sélectionnés dans l’un des festivals des films d’art. Retraité du cinéma et retranché dans la grande verdure de Bazemont, dans le département des Yvelines en région Île-de-France, à une heure de Paris, Patrice Velut ne fait que rêver d’un film toujours plus beau, toujours plus pénétrant, et il n’a de cesse qu’il n’ait découvert, presque chaque jour, une nouvelle piste vers l’œuvre marquante d’un nouvel artiste plasticien, vivant ou mort, connu ou moins connu, à filmer, en avançant doucement, mais sûrement, vers l’apothéose. Interview :
Vous êtes aujourd’hui, après une longue carrière d’accessoiriste, cadreur et metteur en scène. Vous réalisez surtout des courts métrages d’art. Sur votre chaîne Youtube, on pourrait compter plus de 900 films de vous. Comment êtes-vous venu à ce genre de films que vous semblez affectionner plus que d’autres genres cinématographiques ?
C’est plus de 1.000 films que vous pouvez voir sur ma chaîne You Tube. C’est ma passion de vouloir tenir une caméra qui m’a tout d’abord amené à ces films. Et puis, un jour, une anecdote sur le peintre Claude Monet, qui avait vécu pas très loin de chez moi, m’amena à vouloir filmer les lieux où il avait vécu, tout en racontant une histoire… les fameuses anecdotes ! De fil en aiguille, je me mis à m’intéresser à sa peinture, moi qui n’avais aucune connaissance dans toutes formes d’art ! Cela commença à m’intéresser, et petit à petit je me plongeais dans les biographies des peintres et aussi avec Internet, j’appris beaucoup de choses sur les grands mouvements en peinture. Et c’est sur ebay que je me mis à collectionner des peintures de toutes sortes, pas chères, mais qui me plaisaient. Ainsi, je découvrais des artistes et je décidai de retrouver la trace de certains d’entre eux et d’en faire un film, avec des témoignages des témoins. Et voilà que le virus m’avait pris, je n’ai plus arrêté. Rencontrer tous ces artistes, montrer leur travail, leur donner une plus grande audience, ça me plaisait. Ce sont surtout les magnifiques rencontres avec les gens qui m’intéressent, les films facilitant les contacts.
Ces films d’art sont-ils très demandés par le public ? A quoi servent-ils au juste ?
Ces films sont vus par les amis des artistes. Sept de mes films ont été sélectionnés dans un festival sur des films d’artiste : Mifac (Marché international du film sur les artistes contemporains) à Angoulème. Certains font 15.000 vues sur YouTube, d’autres 45 ! Parfois, deux ans plus tard, un artiste est surpris de découvrir un petit montage que j’avais fait sur lui. En fait, la plupart de mes films sont des montages faits chez moi, en utilisant toutes les informations que je trouve sur Internet, sur l’artiste que j’ai choisi.
Ce sont surtout les artistes plasticiens que vous aimez filmer. Pourquoi ce choix ? Les poètes et les musiciens trouvent-ils quelquefois un peu de place dans vos courts métrages d’art ?
Effectivement ! Ce sont uniquement des peintres et des sculpteurs, car c’est l’image qui m’intéresse, le fait de rentrer dans l’univers de l’artiste, grâce à l’illustration musicale.
Vous êtes un créateur d’images, un artiste de l’image. Votre rapport à l’image n’est pas que technique, il est aussi, voire surtout, subjectif, c’est-à-dire gouverné par l’émotion. Alors où se situe l’émotion dans votre travail, en amont ou en aval ? Elle est le moteur de l’image ou son aboutissement ? Que faites-vous de particulier pour la faire jaillir de votre spectateur ?
Devant un tableau, abstrait ou figuratif, nous sommes guidés par une émotion ou pas, c’est ce qui m’intéresse ! Car parfois je n’aime pas particulièrement ce que fait l’artiste, c’est sa démarche. Pourquoi il fait ça ? Et comme je filme beaucoup d’artistes Art Brut ou expressionnistes, ils ont toujours un besoin de jeter sur la toile ou la sculpture ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes. Pour comprendre leur peinture, il faut d’abord les comprendre, connaître leur vie. Ceci est particulièrement vrai, pour moi, en ayant « découvert » le peintre Marjan. Depuis le début, je filme tout son parcours pictural, d’expositions en expositions. En ayant acheté sur ebay quelques dessins de Marjan qui ne savait absolument pas dessiner, donc des dessins très simples, voire enfantins, je me suis dit que derrière tout cela il y avait quelque chose de terrible chez cet homme. Et j’ai donc décidé de lui proposer de venir le filmer, ce qu’il n’a accepté que trois semaines plus tard.
Quand vous comparez l’image que vous fabriquez et qui est en lumière avec l’image d’un poème ou d’un roman qui est en mots, ou avec l’image d’une peinture qui est en lignes, courbes et couleurs, quelles différences trouvez-vous entre elle et ces images-là ?
Lorsque je lis un roman, un poème, je vois des images dans ma tête, rien ne m’est imposé.
Quand on regarde un film tiré d’un livre que l’on a aimé, on est souvent déçu, les images ne correspondent pas à celles que l’on avait imaginées, on nous les impose. Ma caméra légère (en fait mon iPad), c’est un peu comme le pinceau d’un peintre, je capture un instant d’un événement se déroulant sous mes yeux, à l’instinct, rien n’est prévu à l’avance. J’adore les hasards, souvent cela donne les meilleures séquences ! Après, vient le montage, c’est là le vrai instant de création !
Très jeune, vous avez commencé à rêver d’être cadreur et réalisateur de cinéma, mais votre rêve ne semble pas avoir porté ses fruits tout de suite et vous vous êtes retrouvé d’abord, durant 44 ans, accessoiriste. Comment avez-vous vécu votre métier, avec quelque peine ou avec plaisir et enthousiasme ?
J’ai, au début, peu apprécié mon métier d’accessoiriste, car je n’y connaissais rien ! Personne ne m’avait appris les rudiments du métier, j’ai dû me débrouiller seul. Et l’accessoiriste étant le seul à travailler sans assistant, la plupart du temps je me retrouvais seul sur un plateau de cinéma, personne pour me conseiller.
C’est au bout d’à peu près deux ans que j’ai commencé à aimer ce métier, un métier qui ne s’apprend pas dans les écoles, mais sur « le tas », c’est-à-dire en le pratiquant. Et, en fait, je pouvais même faire un peu de mise en scène en proposant au réalisateur, à partir de l’accessoire, une manière de filmer une séquence.
Vous avez travaillé dans des films célèbres comme « Les cordiers, juge et flic », « Le rêve d’Esther », « Maigret », « Médecins de nuit », « De soie et de cendre », « La petite Fadette », « Jean Moulin », « une femme d’honneur », « L’amour nuit gravement à la santé », « Le sanglot des anges », « La vérité en face », « Carnages », « Elles n’oublient jamais » et bien d’autres. En quoi votre fonction d’accessoiriste était-elle indispensable dans la réalisation et le succès de tous ces films ?
Un comédien, qui n’est pas à l’aise avec l’accessoire, ça peut être un simple briquet ou stylo fonctionnant mal, une plume d’oie pour écrire, un plat qu’il doit manger et qu’il déteste, sera détestable. Mon rôle, est très proche des comédiens, car je leur fais essayer les accessoires avant de tourner, qu’ils soient à l’aise avec.
Exemple : une scène dans un film d’époque dans laquelle il doit mettre un cachet de cire sur une lettre écrite auparavant à la plume d’oie. Si, avant de tourner cette séquence, je ne lui ai pas montré comment faire, il sera incapable de faire croire qu’il a fait cela toute sa vie ! Moi-même, durant la préparation du film, j’ai dû apprendre avec un spécialiste, puis me procurer tous les accessoires nécessaires au tournage de cette séquence.
De plus, plus l’accessoire est rapide, plus il est apprécié par la production ! Si je fais perdre du temps en cherchant l’accessoire au moment de tourner, ou que je n’ai pas prévu assez d’enveloppes à cacheter, car on fait toujours plusieurs prises, c’est mauvais pour moi, et la suite de ma carrière ! A chaque film il faut être bon, et ça c’est quand même stressant.
Pourquoi considère-t-on un accessoiriste comme un intermittent de spectacle ?
L’accessoiriste comme tous les techniciens de cinéma est un intermittent de spectacle. Nous travaillons uniquement sur de courtes périodes (ça peut être deux jours, 1 semaine, 5 semaines ou plus selon le film à tourner). Il nous faudra à chaque fin de contrat en trouver un autre… et ceci jusqu’à la retraite ! Entre deux films, si on a travaillé un certain nombre d’heures suffisantes, nous avons droit à des indemnités des Assedic, une caisse spéciale pour gens du spectacle.
Dans l’avant-propos d’un livre qu’il vous a réservé, Arnaud Sélignac écrit que vous avez « plusieurs vies, plusieurs rêves » et se demande si vous les avez vécus et concrétisés. Trouvez-vous pertinent son constat et comment répondez-vous à son questionnement ?
Je ne comprends pas trop ce qu’il a voulu dire par là ! Peut-être le fait de m’intéresser à plusieurs domaines artistiques, cinéma et peinture, « accessoirisation » et mise en scène.
Certains disent de l’accessoiriste qu’il est un faussaire. Dans quelle mesure cet adjectif s’applique-t-il à l’accessoiriste que vous étiez ?
L’accessoiriste est un faussaire, peut-être dans le sens où il doit transformer un accessoire pour le rendre utilisable pour un comédien.
Exemple : une matraque devant servir sera un bout de caoutchouc souple maquillé, un verre d’alcool sera soit du jus de raisin pour imiter le vin, soit un mélange de caramel liquide, utilisé en pâtisserie, mélangé à de l’eau pour imiter un whisky ou un cognac. Un feu de cheminée sera fait avec une rampe à gaz et des bûches en plâtre. Un poignard devant servir aura une lame rétractable.
Dans votre longue carrière, vous avez été amené à rencontrer de nombreux comédiens et comédiennes célèbres tels que Gérard Depardieu, Jean Rochefort, Sophie Marceau, Jean-Louis Trintignant, Liza Minelli, Pénélope Cruz et d’autres plus nombreux encore. Quels souvenirs gardez-vous de ces rencontres ? Y en a-t-il parmi ces comédiens et comédiennes qui vous ont réellement marqué ou qui ont apporté à votre carrière ?
Les rapports que j’ai eus avec les comédiens que j’ai croisés sont uniquement professionnels, pas de hiérarchie, chaque personne est indispensable pour le tournage d’un film. Évidemment, certains sont plus sympathiques que d’autres, comme dans tous les métiers. Un tournage, c’est un travail artisanal. Pour ma part, le travail est le même que 30 ans plus tôt.
On sait que vous êtes aussi collectionneur de tableaux de peinture et découvreur de talents. Comment êtes-vous passé du cinéma à la peinture et aux artistes peintres ?
C’est le cinéma qui m’a fait passer à la peinture. Le plaisir de filmer ces artistes qui, talent ou pas talent, ont toujours des choses passionnantes à raconter à travers leurs œuvres. Leur donner la parole, entrer dans leur monde.
Pour finir, quels seront vos horizons et vos nouveaux projets ?
Rien de prévu pour la suite, juste se fier au hasard des rencontres, des rencontres imprévues, tout ça a enrichi ma vie.
Pierre Mérour
30 avril 2023 à 20:57
Très bel interview !!!